Humeurs Oranaises : Toutes voiles dehors

Ne capturez pas cette image que je ne saurai pouvoir vous offrir. Où quand la double négation n’est pas force d’affirmation. 

De ces silhouettes féminines allant dans la rue, croisées au hasard des obligations de chacun. Des silhouettes graciles où les attributs féminins sont cachés pour me dit-on, ne pas attirer la convoitise, ne pas divulguer ce qui chez la femme provoque l’attirance, source de désir et prémices du plaisir. Prenez ce mouchoir et cachez-moi ce cheveu soyeux que je ne saurais voir, cette nuque offerte à toutes les pensées, prudes ou impures, de démarches maternantes en attirances sexuées. La nuque, pour W.A, était le seul vol d’intimité qu’il pouvait se permettre de par sa taille et son physique qu’il ne trouvait pas avantageux. Elle était des plus accessible au regard sans pour autant être vu, courageusement contemplée de dos. Un eldorado de phantasmes et d’épopées extatiques, terre de balades romantiques et de souffles érotiques. Mais des plus beaux atours de la féminité, certaines représentations demeurent, et s’affichent. Sous le voile quel qu’il soit, souvent rehaussé de bijoux et agréments, les lignes du visage quand elles sont données à voir sont aussi sublimées, par des rehauts de fard et de crayonnés. Au regard qui descend s’offre des tulles qui savent jouer de transparences, enveloppant des silhouettes aux formes expressives et suggestives, laissant à voir plus qu’ils ne sauraient cacher. Les lignes fluides se laissent volontiers rehausser par les aiguilles de talons aux centimètres audacieux, levant le galbe et les cambrures et détachant le pas chaloupé d’autant d’unités de longueur que le bois verni ose en supporter. 

Il est des sommets, recouverts pour les séparer des cieux, qui laissent aux pieds de la vallée à voir des paysages que les nuages ne savent obscurcir.

Parfois la silhouette s’exprime quoi qu’il en soit, jouant des contraintes et des codes imposés, se les réappropriant, laissant apparaître et dévoiler autrement, et parfois plus que ce que la morale en vigueur souhaiterait voiler. Cacher devient un outil de séduction, un objet de mode, une représentation de la respectabilité et des bonnes mœurs, permettant de ne pas avoir à se justifier et faire fi dès la première impression, des interprétations abusives, masculines et erronées d’un cheveu lâche. 
Mais il y a des gradations dans le voilage qui distingue l’effet de mode de la conviction dogmatique. À mesure que l’on passe de l’un à l’autre, le floutage des courbes s’associe à la désaturation des couleurs tout en gagnant ostensiblement du terrain, jusqu'à disparition de la chair. Pour ces derniers, le regard ne devant pas être attiré ni la pupille stimulée, le monochrome sombre et les voiles amples, épais et aformes, dissimulent tout ce qui peut représenter une silhouette, un être, une âme, une réalité.

Le regard posé est le plus souvent la première des communications, avant l’écho d’une voix, ou le bruit d’un pas. Il personnalise le lien, l’intimise. C’est lui qui assure la communication en vis-à-vis, une communication directe, qui fait que quand vous me parlez, je bouge la tête, je bouge les yeux, je souris un peu et vous permets de continuer à parler, c’est ce qu’on appelle l’empathie. Mais ce masque sombre qui sépare de l’altérité et la rend opaque à l’autre, détruit toute tentative de réciprocité, indispensable à la vie sociale. 

Qu’est ce qui fait que je me lève pour laisser ma place dans le bus ? 

Une attitude bienveillante et empathique vis-à-vis d’autrui, qui mobilise la nécessaire réciprocité. Nous nous callons sur la réceptivité de l’autre. Si cette réciprocité se communique facilement, le défaut d’empathie aussi. Sans lien avec les émotions de l’autre, sans capacité de lecture des codes de l’expression qui me permettent de situer l’autre dans un univers émotionnel, je ne suis plus en mesure de créer de lien. Or pour évoluer dans un espace donné je m’applique, consciemment ou pas, à créer un lien avec tous les objets de cet espace. L’objet délié, au mieux me désarme. Dans cette inégalité d’échange, sans zone de résonnance, jeter le voile sur l’apparence entre les individus en exclu certains de ce qui lie les êtres, et priver son entourage de ces liens, en vient à commettre un défaut d’empathie, qui par réciprocité entraine le même défaut d’empathie chez celui qui se découvre à l’autre. 

Les spectres de lumière absorbés n’ont pas pour effet d’effacer la présence, illusion de mascage et de dissimulation. La présence s’impose de par le masque obscur d’une volonté d’interdire à voir. Curieusement, sans jamais savoir d’où vient l’initiative, derrière cette personnelle volonté de cacher, je n’ai pu prendre de photo et représenter cette action de ne pas montrer. Même le cache ne peut être fixé sur le négatif, avec le risque qu’il devienne cliché malgré tout. Oser sortir et s’offrir au regard sans rien laisser à voir, n’en est pas moins une autorisation à laisser capturer ce qui n’est pas montré. Tu ne peux capturer ce qui n’est pas exposé au regard, ça aurait du être une évidence. 


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